Première partie :

 

Le Départ

 

 

Longtemps j’ai hésité avant de me décider. J’espérais qu’une plume plus habile que la mienne se chargerait de faire revivre cette période de notre jeunesse consacrée aux premiers contacts que nous avons eu avec le CORPS EXPEDITIONNAIRE d’ EXTREME ORIENT.

 

Engagé volontaire à 17 ans en 1945 et ne désirant pas rester en Allemagne, je demande à rejoindre l’Afrique du Nord.

Janvier 1946, j’embarque à MARSEILLE sur le « SIDI AISSA » avec une trentaine de camarades. Il s’agit d’un bateau en bois, transportant habituellement des moutons, qui sert au rapatriement des Nord-Africains, engagés pour la durée de la guerre et regagnant l’Algérie pour reprendre la vie civile.

Nous débarquons à BONE où nous sommes accueillis par la population au même titre que leurs héros. Ensuite nous prenons le train, direction 4ème Spahis tunisiens à SFAX, ce qui demande une bonne semaine. Affecté par la suite dans le Sud, à CABES, puis ZARZIS, le 4ème R.S.T. prend la dénomination de 4ème Chasseurs d’Afrique en avril 1948.

Juin 1949 – jeune sous-officier, je suis convoqué au PC du Régiment où l’on m’informe que je suis désigné pour entrer dans la composition d’un détachement effectuant une relève en Extrême-orient. Après cette annonce les jours passent, reprenant leur visage paisible, lorsqu’un beau matin, un télégramme arrive, fixant une date et un lieu de rendez-vous. D’abord un congé de 3 semaines pour rejoindre ensuite le camp de SATHONAY près de LYON, le temps de former et d’équiper les éléments du renfort.

Dans ce camp, pendant plusieurs jours, nous assistons à l’arrivée de quelques centaines d’hommes dont l’Arme représente une grande variété. Les uns proviennent de l’Infanterie métropolitaine ou coloniale, de l’artillerie, des troupes aéroportées…ou bien comme moi, de l’Arme Blindée. Puis c’est le départ vers le camp Ste Marthe de MARSEILLE, encadrés par des gardes mobiles comme si nous étions des prisonniers. Par la suite, nous comprenons qu’ils sont là pour empêcher certains manifestants de nous importuner.

Mon groupe se compose d’une vingtaine d’hommes et gradés  dont deux sous-officiers, un adjudant et le jeune maréchal des logis que je suis.

Tout ce petit monde, âgé de 19 à 21 ans, est dirigé vers le 5è Régiment de Cuirassiers de COCHINCHINE.

Le 21 juillet 1949, nous embarquons sur « LA JAMAIQUE ». Nous avons la chance d’effectuer la traversée sur un bateau mixte, civils et militaires, au lieu d’un transport de troupes tels que  « L’ATHOS » ou le « PASTEUR ». Les soldats sont en 3° classe (dortoirs pour 10 aménagés dans une cale), les sous-officiers et le personnel féminin, par 4 en cabine de 2° classe, bien entendu les officiers se retrouvent en 1ère classe. Les repas sont pris dans les restaurants affectés à chaque catégorie.

Les Marseillais ont été invités (par qui ? on le devine un peu) à manifester contre les assassins. Des forces de police exceptionnelles gardent le port et notre quai d’embarquement en particulier.

Il nous faut donc quitter la France, pays de liberté, sous la protection des garde mobiles. Quelques mordus, le cœur tenaillé sans doute par ce départ trop anonyme, entonnent une Marseillaise, qui n’est entendue que par un groupe de policiers au demeurant impassibles alors que nous aurions tant désiré sentir vibrer un peu plus de cette France que nous quittons.

Des dizaines d’entre nous ne doivent plus revenir de ce lointain voyage. Des dizaines qui ce soir là, le cœur serré, écoutent le seul adieu des sirènes, nous saluant au passage.

Des dizaines qui fixent, de leurs yeux, les lumières de la ville et du port, une dernière portion de la côte, une dernière parcelle du ciel, de chez nous.

Emile GINEPRO

 

 

 

 

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