RETOUR EN FRANCE

 

31juin au 4 août 1947

 

 

Je revenais de patrouille au Poste, sur le piton de MHIN-LE quand le Lieutenant GARDIN me dit : «DIDIER , tu dois te présenter au bureau de la Compagnie pour ton retour vers la France » ! Le 28 juin , je rends mon paquetage au sergent-fourrier, je n'attends plus que l'embarquement qui est prévu pour le 5 juillet.

 

Des GMC montent de HUE pour nous prendre, mais le Haut-commandement préfère nous expédier à TOURANE par LCT (Landing, Craft, Transport) et nous y arrivons le 29 au matin. Le jour même je reçois l'ordre d'embarquement pour le 30/6 au matin.

Quelle nuit, d'attente et de fièvre ! Je ne peux croire que ce moment tant attendu est enfin arrivé. Je prépare mon sac marin sauf les affaire pour passer la nuit. A 5 heures du matin , je suis debout et j'enferme la moustiquaire et la couverture dans le sac. A 6 heures je dis adieu et bonnes chances à mes camarades. Nous allons au bureau de la Compagnie pour prendre mon livret individuel, et je retrouve toute l'équipe des rapatriés : le Lieutenant TURPIN, le sergent FLAMANT, et les autres tels SALA, DAUSSIN, MICHELLUCCI, TAMOUCHE, GOTELLE, THIRION, HOFFMAN, TISSOT, GAUDIN , FAREZ.

 

Joyeusement, nous nous dirigeons vers la Base pour l'embarquement. Tous les rapatriés du Bataillon sont rassemblés dans le Marché. Le Commandant GUIBAUD nous fait ses adieux et nous remercie au nom de la France car, a t-il dit, je serai peut-être le seul à le faire, de vous remercier de ce que vous avez fait pour elle (La France).

 

Vers 9 heures, après avoir fait nos derniers adieux, nous embarquons sur le LCT déjà encombré de véhicules automobiles. Nous montons sur le toit des camions pour voir la foule, tant militaires que civils, chinois et annamites.

Vers 10 heures la sirène retentit et les amarres sont levées aussitôt. Le LCT fait la manœuvre et petit à petit nous prenons du large.

 

Avec les acclamations délirantes des rapatriés qui chantent pour la dernière fois l'hymne de l'Infanterie de Marine, nous défilons devant la Base, l'Hôpital, la Citadelle, et le village catholique de TAM-TOA. La joie, comme le soleil, resplendit sur nos visages.

Mais voici que notre LCT commence à danser drôlement car c'est un bateau de débarquement à fond plat qui mesure environ 48 m de long sur 10 m de large. De plus il fait une chaleur accablante et nos bidons sont bientôt vides ; heureusement, il y a de l'eau potable à bord. Je dors (très mal) sur le toit d'un camion.

 

Vers 8h nous sommes dans la baie de TOURANE ; le cargo CALMET et un aviso y sont ancrés. Nous débarquons . des GMC mis à notre disposition nous conduisent à la caserne des tirailleurs . Je prends mon nécessaire de toilette pour me rendre présentable. A 4 heures, au rassemblement, nous embarquons à nouveau sur les GMC qui nous conduisent au terrain d’aviation pour nous installer en vue d'y passer la nuit.

 

Le 5 nous rendons nos moustiquaires et nous nous préparons à embarquer sur l'ATHOS II, après le chargement des bagages sur le LCT. Chacun se rend à bord, à l'appel de son nom. Quand tout est à bord, la sirène se fait entendre et les amarres sont levées ; le LCT se détache du bord et prend le chenal. Nous apercevons enfin l'ATHOS II (son appellation exacte est ATHOS II – MARSEILLE). La manœuvre se fait lentement.

Nous sommes dirigés vers nos couchettes respectives, le détachement du 3/23 RIC loge dans le faux-pont avant, dans des couchettes superposées. Dès que nos places sont occupées nous faisons la chasse pour retrouver nos bagages.

 

A 6 heures nous sommes appelés pour la soupe. (la nourriture est très bonne). Après ce dîner, nous nous promenons sur le pont, mais le sommeil vient vite et je vais me coucher. Le lendemain, la vie s'organise : café à 6h30 - déjeuner à 11h30 – dîner à 17h30. Dans la journée, je joue au bridge avec SALA , JACOB et CAMISAN comme partenaires.

 

Le soir, nous avons cinéma; Il fait trop lourd pour dormir dans le faux pont. Je décide de dormir sur la plage avant. Mon somme est interrompu à 6h du matin, une douche, boire le jus, et nous arrivons au Cap Saint-Jacques à 9 h. Il fallait attendre la marée à 10H pour remonter à SAIGON où nous arrivons 4 h plus tard, avec d'innombrables méandres.

Le détachement 3/23 doit descendre mais comme il fait nuit, le commandant nous autorise à passer la nuit à bord. .

Le 8 nous débarquons, des camions Chevrolet nous attendent et nous prenons la direction de la caserne du 11ème RIC. Je loge avec ma Compagnie dans une chambre nue, nous allons chercher des lits picots et des moustiquaires.

Le 10 au soir nous apprenons que l'embarquement aura lieu le lendemain. Nous parcourons encore une fois la rue Catinat et rejoignons la caserne après une bonne soirée. Réveil général à 5h30, rassemblement à 6h30 et les camions nous emmènent vers le port. 7H30 nous embarquons et nous reprenons nos places dans le faux-pont. A 10 heures la marée est haute qui permet à notre bateau de prendre son grand envol pour la France. A 15 h, nous sommes en pleine mer laquelle est houleuse mais le bateau ne tangue presque pas.

La vie reprend son rythme à bord, le soir je joue au bridge avec mes camarades longoviciens.

Le 13 au matin, nous sommes dans le chenal, et SINGAPOUR, première escale du voyage, est en vue. Le bateau s'avance lentement vers le dépôt SHELL pour faire le plein de mazout. Nous n'avons pas l'autorisation de descendre à terre, des marchands avec leur grosse barque nous présentent des pastèques, noix de coco, bonbons, cigarettes, porte-feuille, tandis que des hommes transportent de la nourriture à bord.

Le 14 juillet au matin nous prenons la route de DJIBOUTI ; nous sommes partis pour 12 jours de voyage dans l'Océan indien. ; nous croisons les innombrables îles du détroit de MALACCA; le soir arrive et je descends prendre ma couverture pour passer la nuit sur la plage avant. Le matin je joue au bridge et après le dîner, je fais la sieste jusque 15h. Après ce repos, j'admire les poissons volants puis après la soupe je prends l'air du pont.... comme toujours. Dans la nuit, le bateau tangue et a un roulis passablement fort. Je redescend sur ma couchette car sur le pont c'est intenable.

Dans la journée du 16, nous sommes en plein océan et il n'y a que des vagues et des poissons volants......ainsi que ban de marsouins qui s'amusent devant l'étrave du navire....

Le soir du 17 je joue au bridge-contrat mais nous devons abandonner faute de connaissances......

Voici déjà 9 jours que nous avons quitté SINGAPOUR ; il fait un temps exécrable et si l'on reste sur la plage avant il ne faut pas longtemps pour être bien douché ! Malgré la chaleur étouffante dans le faux-pont avant, je passe une très bonne nuit.

Le 23 au réveil, le bateau tangue toujours ; dans l'après-midi la mer se calme ; le 24 au matin une légère brume recouvre la mer, mais on distingue à peu de distance la côte des Somalies italiennes. Le mer se calme de plus en plus. A 9h c'est une mer d'huile et je vois 6 bans de marsouins devant l'étrave du bateau......

Après l'Asie on voit les côtes de l'Afrique !

 

Le 25 vers 4 heures du matin nous apercevons DJIBOUTI dans le lointain. Nous accostons 2 heures plus tard. Nous avons eu l'autorisation de poser des permissions pour Djibouti. Une barque nous dirige vers le débarcadère et pour le voyage nous payons 100 Frcs à 3. Je descends à terre avec SALA et JACOB . Aussitôt sur la route, nous prenons un taxi, sans phare et en guise de klaxon une corne. Cette course en taxi nous a couté 40 frcs de Djibouti. Nous avions soif et donc nous sommes allés sur la terrasse d'un café pour déguster une excellente bouteille de bière.... SALA et moi achetons des cigarettes. Après avoir dépensé 3000 frcs à nous trois, nous regagnons l'embarcadère en taxi mais cette fois-ci nous ne lui donnons que 30 Frcs !

Vers minuit nous embarquons sur une vieille barcasse qui nous ramène à bord.

Le 26 au matin l' André LEBON entre dans la rade pendant que nous effectuons la manœuvre de départ.. Il est 7 h du matin et l'ATHOS II reprend sa course vers une nouvelle escale.

Le 28 dans la journée, on croise une quinzaine de navires ; je dine et fais la sieste, quand je me réveille nous entrons dans le golf de Suez. A 2 heures nous jetons l'ancre et nous sommes arrivés à SUEZ.

Le 30 au matin, une énorme lanterne est accrochée à l'avant du bateau et nous attendons l'ordre de départ. L'entrée du canal est en face de nous légèrement sur la droite ; à 9 h l'ancre est levée et nous entrons dans le canal, face à la Mer Rouge deux lions de pierre en gardent l'entrée. C'est un très beau monument. Tous les 100 mères , il y a une borne qui indique la distance parcourue. Vers 10 h nous entrons dans le premier lac.

Le chenal de passage dans ce lac est marqué par des bouées lumineuses distantes de cent mètres l'une de l'autre. Un grand nombre de LCT sont sur la côte à proximité des camps anglais. Nous reprenons notre course dans le chenal après avoir croisé deux pétroliers. Nous rencontrons également de grosses dragueuses qui remplissent soit des chalands, soit qui évacue le sable du fond dans le désert voisin, à l'aide de grosses tuyauteries.

Les kilomètres défilent à nouveau devant moi, et après la soupe, il nous reste encore 35 kms à parcourir pour être à PORT-SAID. Ici à droite et à gauche, c'est le delta du Nil que l'on voit à perte de vue ....

Au km 10, nous apercevons PORT SAID, nous traversons le port et passons devant la ville et nous nous amarrons à la sortie du canal. Le monument élevé à la gloire de Ferdinand de Lesseps s'élève en face de nous. Dans la nuit, je vais me coucher dans la cale, car les nuits sont trop fraîches . A 3 heures, je suis réveillé par le bruit de la chaine que l'on remonte . Le bateau reprend sa course. Le 31 au matin, nous sommes en pleine mer laquelle est d'huile avec quelques marsouins par ci par là.

 

Le 1er aout au matin les côtes de la CRETE se dessinent dans le lointain. Ce matin, nous apprenons à jouer au bridge à deux camardes de Longwy. Après le dîner, promenade ... de la plage avant à la plage arrière.... Vers 14 h je continue la partie de bridge commencée le matin et ... le soir on remettra ça ! On dirait que l'on se dépêche de jouer car bientôt nous nous quitterons et les nouvelles parties de bridge seront remises aux calendes grecques.

Le général BOURGUND a lancé une proclamation aux troupes qui regagnent leur foyer, il demande que le dimanche 3 aout, on se réunisse autour d'un espèce de « feux de camp » où nous chanterons ensemble, pour la dernière fois, nos chansons de route et nos hymnes guerriers.

Dans la nuit du 1er au 2 aout, nous avons repris définitivement l'heure de France.

 

Les côtes d'Italie nous apparaissent , puis vers 16h ce sera la Sicile et nous sommes en vue de Reggio de Calabre et de Messines. Notre paquebot a ralenti sa marche. Après avoir allumé des feux de Bengale rouge, il fait des appels de morse en direction de Messines qui se décide enfin à nous répondre. Nous entrons dans la rade et au bout d'une heure une vedette du port vient à notre rencontre. Ils embarquent un Officier du bord qui a une lésion cardiaque et qui doit être immédiatement hospitalisé.

Puis, après avoir fait un tour complet sur lui-même, le bateau reprend sa route vers la France.

Nous dépassons le Stromboli vers 4 heures du matin. A 17 heures, c''est la Sardaigne ; à 18 heures nous approchons du détroit de Bonifacio, la Corse est en vue.

 

J'admire le paysage depuis la plage avant et ensuite nous nous rassemblons pour un « feu de camp » en chantant nos hymnes ainsi que le chant des Adieux. Vers minuit je vais me coucher car demain matin une messe sera dite pour tous les camarades de la 9° DIC qui sont morts en Indochine.

Le 4 aout 1947 au matin, le sol de France va nous apparaître et ce après 22 mois d'absence...

 

Je ne ferai ma valise que lorsque Marseille sera en vue.... Les agrès sont prêts ainsi que les treuils, tout est prêt pour le débarquement.

Ce journal va se terminer ici, dans la cafétéria du bateau, et je ne sais pas où et quand je le poursuivrai...

Le petit choc au cœur est arrivé quand on a vu au loin Notre Dame de la Garde à MARSEILLE. Nous avons débarqué à 18 heures, après deux heures d'attente à quai !. Les camions militaires nous ont transporté à la caserne Sainte-Marthe.

C'est là que je reçois ma feuille de démobilisation, ma solde pour 6 mois, un costume civil, les feuilles avec les timbres de ravitaillement car tout est encore rationné en France. Je rends les habits militaires que je possédais encore et ... je suis libre.

A 21 heures, je prends le train pour LONGWY.

Ainsi se termine le grand voyage de DANG-HOI à Longwy.

 

 

Georges DIDIER